par Sallie Gomez, Animatrice de la LLL, Hamilton, Ohio, E.-U. tiré de Leaven, September-October 1993 traduit par Marielle Larocque, Sherbrooke, Qc, Canada
Un printemps, j’ai discuté du co-allaitement avec une stagiaire enthousiaste qui sentait bien que son fils de seize mois n’était réellement pas prêt à se sevrer. Je lui ai donné le feuillet « Le co-allaitement, est-ce pour vous? » et je lui ai suggéré de lire les passages qui traitent de ce sujet dans le livre LE BAMBIN ET L’ALLAITEMENT. En m’appuyant sur l’expérience des deux années, que j’avais moi-même du co-allaitement, je pensais que ces publications donnaient un aperçu de ce que cela pouvait être. À notre surprise mutuelle, elle finit par sevrer assez brusquement son fils pendant sa grossesse; ses sentiments négatifs la surprirent beaucoup puisque toutes les femmes qu’elle connaissait et qui co-allaitaient vivaient des expériences positives. Après qu’elle eut sevré son fils, elle disparut de notre groupe et nos contacts devinrent moins fréquents; je pensais à regret qu’elle ne se sentait plus à l’aise dans le groupe parce qu’elle avait sevré. Ma propre expérience, qui avait été positive, m’avait laissée mal préparée pour comprendre et aider une mère dont l’expérience s’est avérée substantiellement plus négative. En partie à cause de cette mère et aussi pour satisfaire ma curiosité personnelle, j’ai fait une étude auprès de plusieurs mères pour en apprendre plus sur le co-allaitement. En voici les résultats.
Un défi pour les animatrices
Le co-allaitement présente deux défis pour les animatrices. Nous devons soutenir celles qui le font ainsi que celles qui ne le font pas. Lire la suite
Les animatrices qui n’ont pas co-allaité peuvent inciter les mères du groupe qui vivent cette expérience à en parler aux mères qui pensent le faire. Le partage de mère-à-mère est le coeur de LLL, et les mères qui co-allaitent peuvent se sentir très isolées. Une mère dont le co-allaitement s’était terminé plusieurs années auparavant, m’a téléphoné parce qu’elle n’avait jamais parlé à une autre mère qui avait vécu cette expérience et qu’elle avait toujours voulu savoir si elle avait été la seule mère à le faire. Elle dit que l’incident qui la fit se sentir le plus isolée est arrivé lorsqu’elle assista à un atelier sur le co-allaitement lors d’une Conférence régionale de LLL. Elle pensait qu’enfin elle pourrait rencontrer d’autres mères qui co-allaitaient, mais à sa grande surprise, aucune des animatrices qui animaient l’atelier ne l’avait jamais fait! Elle dit qu’alors elle s’était sentie bien seule.
D’un autre côté, les groupes qui comptent plusieurs mères qui co-allaitent doivent présenter avec soin les avantages et les inconvénients du co-allaitement pour que chaque mère puisse prendre une décision réaliste qui convienne le mieux à ses besoins et à ceux de sa famille.
Le premier contact que vous aurez avec une mère qui co-allaitera peut-être a lieu probablement quand celle-ci est enceinte et que son médecin lui recommande de sevrer son premier enfant. Elle peut en être bouleversée et inquiète. Elle peut vouloir un avis sur le temps requis pour ‘sevrer’ un enfant ou s’informer s’il est nuisible pour le bébé qu’elle porte de continuer à allaiter son bambin. Le livret de Gail Berke Allaiter des non-jumeaux, est-ce pour vous? offre une discussion honnête et excellente sur ce sujet et devrait être recommandé à toute mère qui s’informe sur le co-allaitement.
Trouver du soutien
Les mères qui pensent co-allaiter cherchent aussi un réseau de soutien. La famille qui n’a pas soutenu sa décision d’allaiter son bébé sera certainement sceptique devant sa décision d’en allaiter deux à la fois. Elle aura donc besoin d’être préparée à faire face aux remarques. Une information exacte devrait aider cette mère à faire face à la plupart des critiques. Lire la suite
La première question que lui poseront sa famille et ses amis sera probablement « Pourquoi? »
Pourquoi co-allaiter? Une mère dit qu’elle l’a fait afin que son aîné ne soit pas « tout simplement privé de son besoin de téter juste parce qu’un petit frère est né ». Ou, comme le dit un père compréhensif: « C’est une question de savoir quand l’aîné sera prêt à se sevrer; le premier principe est d’observer les signes que l’enfant nous donne. Le fait qu’une mère ait deux enfants est secondaire. » « Quelques personnes vont compattir quand la mère d’un très jeune bambin décide de continuer de l’allaiter. Toutefois, plus les enfants sont espacés, plus il y a de risque de critique. Dans notre culture, peu de gens reconnaissent le besoin de téter d’un avide bambin de trois ans; on peut tenter de persuader la mère d’arrêter de l’allaiter, en lui rappelant que son enfant est un « grand garçon » ou une « grande fille ».
Ces personnes qui critiquent connaissent probablement des enfants de trois ans qui sucent leur pouce ou prennent occasionnellement un biberon. Ma soeur a déjà préparé un biberon pour sa fille de six ans qui était malade; tout le monde comprenait le besoin de la fillette de redevenir bébé pendant une courte période, mais aurait-on compris si elle avait demandé une tétée?
La mère qui recevra le moins de compréhension est celle qui allaite un enfant beaucoup plus vieux, qui, aux yeux de tous (y compris ceux de sa mère), devrait être prêt à se sevrer. Pourquoi le sevrer? Quelquefois cela n’en vaut pas la peine; une mère m’a dit qu’elle ne voyait aucune raison de provoquer des batailles pour amener son enfant à se sevrer puisqu’il ne tétait qu’une fois à toutes les deux semaines.
Ici le problème n’est pas la demande de l’enfant sur le temps et l’énergie de la mère; comme cela arrive si souvent pour les critiques portant sur l’allaitement, un co-allaitement peut parfois être perçu comme un problème réel à cause de notre encadrement culturel.
Quels sont les avantages?
La plupart des mères estiment qu’un avantage important du co-allaitement est l’étroite relation qui s’établit entre les deux enfants. Lire la suite
Dans leurs réponses à mon questionnaire, les mères ont fréquemment fait des remarques telles que: « le bambin semble particulièrement proche du bébé », « pas de ressentiment, ni de rivalité », « une relation unique avec son frère – un début très calme » et « lien très étroit entre les deux enfants ». Une mère qui a allaité un garçon en même temps que des jumelles plus jeunes a observé que son fils comprenait très bien le langage particulier de ses soeurs. Presque toutes les mères ont mentionné ces avantages; celles qui avaient d’autres enfants qui n’avaient pas été allaités en tandem jugeaient la relation entre ceux qui avaient été allaités ensemble plus forte et plus affectueuse qu’entré ceux qui ne l’avaient pas été. Co-allaiter peut réduire la jalousie parce que cela permet à l’aîné de continuer à être bébé aussi longtemps qu’il en a besoin.
Les mères qui ont eu les expériences les plus heureuses de co-allaitement ont apprécié la richesse de cette triple relation. Le co-allaitement peut enseigner le partage, « le plus jeune apprend la coopération dès le départ ». Une mère résume cet avantage: « Ils ont un exemple tangible que je suis là pour tous les deux. Ils apprennent à partager, ils attendent leur tour, sachant qu’il va venir. Ils ont quelque chose en commun qu’ils aiment faire et qu’ils font bien! »
Y a-t-il des avantages pour la mère? Quelques-unes n’en ont pas trouvé, mais la plupart ne partagent pas cet avis. Un avantage très souvent mentionné est que le co-allaitement permet de soulager l’engorgement; une mère ajoute: « L’allaitement de mon bambin a accéléré mon travail. » Le commentaire le plus positif que j’ai entendu au sujet d’allaiter simultanément deux enfants est: « J’ai un sentiment de plénitude quand mes deux enfants sont dans mes bras et qu’ils tètent en même temps. »
Quelques mères ont mentionné la perte de poids comme étant un des avantages du co-allaitement. Mais est-ce vrai pour toutes? Neuf mères sur quarante-quatre ont constaté qu’elles avaient retrouvé plus rapidement leur poids d’avant grossesse en allaitant des non-jumeaux; quelques-unes ont senti qu’elles étaient devenues trop minces et qu’elles avaient peine à manger assez. Parmi les femmes qui se sentaient capables de manger plus en allaitant des non-jumeaux, une dit que, lorsque les tétées diminuent, il faut prendre garde sinon on peut regagner ce poids. Deux femmes parmi ces neuf ont remarqué qu’elles ont retrouvé leur poids initial plus rapidement, toutefois elles font observer qu’elles étaient plus conscientes de leur alimentation et du besoin d’exercices physiques. En contraste, trente-deux mères n’ont vu aucune différence dans la perte de poids, et deux d’entre elles ont eu plus de difficulté à en perdre.
Aspects pratiques
Les mères qui songent à co-allaiter peuvent demander des conseils pratiques. Doit-on allaiter les enfants un à la fois ou les deux en même temps?
L’allaitement simultané des deux enfants est parfois considéré comme la façon la plus facile de co-allaiter, et quelques mères adorent cela. Ces mères ont offert plusieurs suggestions pratiques. Lire la suite
Par exemple, quand vous placez vos enfants pour qu’ils tètent ensemble, vous pouvez d’abord installer correctement le bébé, ensuite vous laissez l’enfant plus âgé trouver une façon de se placer à son tour pour téter. S’il désire réellement téter, il trouvera bien une position pour le faire. J’ai allaité Enrique, mon aîné, assis à côté de moi, une – position également convenable pendant la grossesse, alors que bébé Alejandro tétait dans la position madonne. Plus tard, les deux enfants peuvent s’asseoir de chaque côté de vous et téter ensemble. Une autre position suggérée par les mères est de placer le bébé dans la position madonne et le bambin dans la position madonne modifiée.
Pour allaiter couchée, dans les premières semaines, vous pouvez installer le bébé en premier, puis laisser le bambin se pencher sur vous à partir de l’arrière. Quand votre bébé est plus gros, vous vous couchez sur le dos un bras en dessous de la tête de chacun des enfants; vous pouvez ainsi allaiter les deux enfants à la fois sans trop de problème.
Que faire si vous devez allaiter en public? Presque toutes les mères ont avoué qu’elles ne co-allaitaient pas en public. Généralement l’enfant plus âgé peut attendre jusqu’à ce qu’on ait trouvé un endroit plus intime.
Toutefois, une mère qui avait allaité en public, m’a décrit et expliqué en détail ce qu’il faut faire:
Portez des vêtements amples. Asseyez-vous. L’enfant plus âgé se couche près de vous et met sa tête sur vos cuisses pour téter. Le bébé est couché sur l’autre bras, et le corps du bébé empêche les curieux de voir que l’aîné tète. »
N’hésitez pas partager vos idées sur le co-allaitement dans un lieu public parce que les mères peuvent en avoir besoin en quelques occasions. Une mère, qui évitait toujours de co-allaiter en public, revenait d’Allemagne avec ses deux enfants; les choses devinrent tellement désespérées qu’elle pensa qu’il serait sage d’allaiter les deux enfants en même temps en public.
Elle dit: « Je me suis fait la réflexion que je ne reverrais probablement plus jamais ces personnes qui étaient autour de moi, mais que j’avais maintenant deux enfants de bonne humeur au milieu d’une situation stressante. » Tout le monde va remarquer votre enfant de deux ans quand il est fatigué et qu’il pleure, alors que peu de gens vont remarquer la présence de ce même enfant quand il tète calmement.
Des mères ont observé que plusieurs des désavantages du co-allaitement ont plus à voir avec le fait d’avoir deux enfants qu’avec le fait de les allaiter. Parmi ceux-ci, on compte la difficulté de trouver une position confortable pour dormir tout en allaitant ‘les deux enfants à la fois et l’inquiétude de savoir si le bébé prend suffisamment de colostrum. Gail Berke suggère de laisser le nouveau-né téter en premier pour qu’il obtienne tous les bénéfices du colostrum. Sa discussion sur la façon de coordonner les tétées est remplie de conseils pratiques.
Les sentiments négatifs
Les tétées simultanées économisent du temps et de l’énergie; mais elles soulèvent le plus d’objections de la part des mères au sujet du co-allaitement. Quand le co-allaitement va mal, les tétées simultanées sont souvent à la base du problème. L’aspect du co-allaitement qui est le plus difficile à accepter par plusieurs est la double stimulation des mamelons quand les deux enfants tètent en même temps. Lire la suite
Malgré de nombreux avantages, il en résulte que plusieurs mères choisissent de ne pas le faire. Les mères qui ont déjà vécu un premier co-allaitement restreignent souvent plus les tétées pour leur deuxième duo de non-jumeaux allaités, même quand elles pensent que leur première expérience a été positive.
Les tétées simultanées ne me dérangeaient que rarement; je me souviens cependant d’une mauvaise journée alors que j’allaitais les deux enfants et que je lisais. J’ai lancé le livre et j’ai dit: « Quelqu’un doit arrêter de téter. » Enrique a arrêté. J’ai recommencé à lire. Comme mon sentiment d’impatience avait disparu, j’ai commencé à me sentir vaguement coupable.
Pourquoi est-ce que Enrique ne pourrait pas téter? Alors je lui dis: « Tu peux téter de nouveau. » Deux minutes plus tard, j’ai de nouveau lancé le livre et dit encore une fois: « Quelqu’un doit arrêter de téter. »
Puisque des mères expriment des sentiments négatifs et de l’impatience au sujet de l’allaitement simultané des non-jumeaux, je suppose qu’ils sont d’origine physique. Une mère se demande si la disparité entre la succion calme du plus jeune et la succion plus puissante du bambin peut causer cette impatience, puisque c’est un problème que les mères de jumeaux ne semblent pas éprouver.
Une autre mère émet l’hypothèse que les tétées simultanées peuvent surstimuler les hormones. Auparavant, lors des réunions de la LLL, elle était d’accord avec d’autres mères qui disaient que la prolactine calme, jusqu’à ce qu’elle se rende compte que chez elle l’allaitement en tandem produisit l’effet contraire. Il est intéressant de noter que, lorsque je co-allaitais, les tétées simultanées me dérangeaient seulement lorsque revenaient mes menstruations, ce qui peut s’expliquer si les hormones entrent en jeu à ce moment.
Des mères rapportent que leurs sentiments négatifs ont commencé pendant la grossesse. L’une d’elles écrit: « Ses tétées me rendaient impatiente et irritable. Elles me donnaient réellement la chair de poule… J’en étais à mon sixième mois de grossesse. Je pensais que si je pouvais tenir jusqu’à la naissance du bébé, le co-allaitement ne serait pas un problème. » Malheureusement, dans son cas, le co-allaitement a été un problème. « Je n’aimais pas plus l’allaiter à ce moment. Ma raison me disait que c’était bon pour lui, mais émotionnellement, cela m’irritait au plus haut point … » Elle ajoute: « En y réfléchissant, je pense que j’aurais dû le sevrer pendant ma grossesse. » Une autre mère écrit: « J’ai essayé de nier que je n’aimais pas faire téter mon aînée. J’aurais été une mère plus heureuse si j’avais limité avec le sourire les tétées de la première, plutôt qu’accepter à contrecoeur de l’allaiter à la demande. »
Les mères qui ont eu des expériences négatives mentionnent souvent la douleur ou une sensibilité aux mamelons. Les mères qui éprouvent d’intenses sentiments négatifs ou des douleurs aux mamelons pourront amener leur bambin à se sevrer. C’est habituellement plus facile pour l’enfant qu’un sevrage précipité peu après la naissance du nouveau bébé.
Une animatrice LLL dit qu’après la naissance de son second enfant « mes sentiments envers ce premier enfant ont tellement changé. Je l’aimais, mais quand elle tétait, je devais me convaincre de ne pas la repousser. Je faisais des exercices de respiration pour m’aider à relaxer. Quand elle a arrêté de téter, je me suis sentie beaucoup mieux et je l’ai aimée plus. Je détestais avoir des sentiments négatifs envers mon enfant. » Cette animatrice connaît plusieurs mères qui ont apprécié le co-allaitement; elle dit aux mères allaitantes enceintes qu’elles « peuvent s’attendre à un changement de sentiments après la naissance du bébé à cause des hormones ». Elle continue: « Je ne connais personne d’autres qui ont éprouvé des sentiments négatifs aussi intenses que ceux que j’ai ressentis … »
Quand une mère de votre groupe pense à co-allaiter, aidez-la à bien s’informer. Incitez-la à prendre en considération le co-allaitement si son enfant semble en avoir besoin et si elle désire le faire et non pas parce qu’elle connaît une mère pour qui c’est un plaisir. La maternité n’est pas une compétition. La mère doit identifier honnêtement ses sentiments, savoir reconnaître les situations auxquelles elle peut faire face, et être suffisamment flexible pour changer d’idée si nécessaire.
Si une mère juge qu’elle doit sevrer son aîné, donnez-lui votre soutien et affirmez-lui qu’elle est une bonne mère aimante.
Le co-allaitement est une décision personnelle et ne convient pas à toutes. Ce n’est qu’une des façons de répondre aux besoins d’un enfant. Les animatrices doivent offrir un soutien aux autres animatrices et à toutes les mères, importe le choix qu’elles font.
L’animatrice peut être mise au défi pour discuter du co-allaitement quand:
- Elle n’a pas vécu cette expérience de co-allaitement.
- Des mères sont tellement enthousiastes que les autres peuvent en venir à croire que c’est la seule façon de satisfaire les besoins de leur bambin.
- D’autres émettent des commentaires très négatifs qui peuvent décourager quiconque de penser au co-allaitement.
Une approche équilibrée de ce sujet permet à la mère de prendre elle-même sa décision.
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