MENSONGE QUE L’ON ENTEND SOUVENT: Allaiter, c’est bien les premiers mois, après, ça ne sert plus à rien (ou c’est mauvais).
C’est sans doute chez nous le « mensonge » qui fait le plus de mal à l’allaitement, et qui est relayé aussi bien par les professionnels de la santé que par les travailleurs de la petite enfance, la voisine, la belle-mère, la bonne copine, les médias, etc.
Dès que l’allaitement dépasse quelques semaines, la mère est assaillie de questions, de remarques, de critiques, d’interrogations … et soumise à une rude pression: « Quand est-ce que tu arrêtes? », « Mais quand vas-tu lui donner autre chose? », « Ton lait ne doit plus lui suffire », « Cela suffit comme ça, pas la peine de continuer », « Là, vous vous faites plaisir, c’est tout », « Vous êtes aveugle aux signes que vous envoie votre bébé disant qu’il veut arrêter de téter » (si, si, je l’ai entendu, de la bouche d’une psy!), « Vous le rendez dépendant », « Attention à l’inceste » (s’il s’agit d’un garçon), « Vous allez en faire un homosexuel », » Il risque d’avoir des TOC (troubles obsessionnels compulsifs) plus tard », « Vous mettez vos enfants à votre service sexuel » … j’en passe, et des meilleures.
La limite au-delà de laquelle cela devient soit inutile, soit pathologique varie selon les gens: pour certains, ce sera trois mois, pour d’autres six mois, pour d’autres encore neuf ou douze mois. Sans qu’aucune raison valable, aucune étude scientifique sérieuse ne vienne corroborer ces dires.
Non, après 3 mois, le lait maternel, ce n’est pas « que de l’eau »! Lire la suite
Ce qu’on sait de la composition du lait de femme, qui en fait un aliment complet, équilibré et parfaitement adapté aux besoins de l’enfant, riche en acides gras essentiels pour construire son cerveau, en facteurs de protection, etc., reste vrai quel que soit l’âge de l’allaitement.
Le lait d’une femme qui allaite un enfant de 18 mois est tout aussi riche que celui d’une femme qui allaite un bébé de 3 mois. Certaines études récentes tendraient même à prouver qu’il est plus riche. Des chercheurs israéliens ont comparé le lait de femmes ayant allaité deux à six mois à celui de femmes ayant allaité douze à trente-neuf mois. Pour le premier groupe, le teneur moyenne du lait en matières grasses était de 7%, contre 11% pour le deuxième groupe. Un litre de lait des femmes du premier groupe représentait 740 calories, contre 880 dans le second groupe.
On voit par là que l’apport calorique du lait maternel dans le régime alimentaire de l’enfant de 2 ans qui tète encore pas mal est loin d’être négligeable. La conclusion des chercheurs était d’ailleurs: »Aussi pouvons-nous encourager les mères à continuer à nourrir leurs enfants au sein, car d’un point de vue nutritionnel, leur lait a bien une valeur. »
Certes, à partir d’un certain âge, l’allaitement devra être complété par des aliments solides. Mais pendant encore plusieurs mois, l’essentiel de l’alimentation de l’enfant pourra continuer à être fourni par le lait maternel. Lait maternel qui continuera par ailleurs à apporter à l’enfant ses innombrables facteurs de protection, et pourra faire une grande différence pour lui en terme de santé, voire de survie dans certains pays. Une étude faite dans les campagnes du Bangladesh attribuaient un tiers de morts entre 18 et 36 mois au non-allaitement: les enfants qui n’étaient plus allaités à cet âge ne bénéficiaient plus des anticorps apportés par le lait maternel.
Des études ont même montré que lorsque l’enfant grandit et tète moins, la concentration de facteurs immunologiques dans le lait maternel augmente, de façon sans doute à ce qu’il continue d’en recevoir la même quantité. L’une d’elle a relevé un taux total d’IgA de 0,8 g/l jusqu’à 12 mois, et de 1,1 g/l entre 13 et 24 mois.
Une meilleure santé future
Continuer à allaiter n’est pas seulement bon pour la santé présente de l’enfant, ça l’est aussi pour la santé de l’adulte qu’il deviendra.
Dans le chapitre sur les effets de l’allaitement sur la santé, j’ai donné de nombreux exemples montrant que plus l’allaitement a duré, plus les effets sur l’état de santé de l’individu sont importants (effet dose-dépendant). En voici quelques exemples supplémentaires: Lire la suite
- Savez-vous qu’un allaitement exclusif plus long empêche la colonisation de l’estomac par la bactérie Helicobacter pylori, responsable, on le sait maintenant, de la plupart des ulcères, voire des cancers de l’estomac? Dans une étude faite sur plus de 400 hommes âgés de 50 ans, une augmentation de la durée de l’allaitement exclusif était significative corrélée à une diminution du risque d’être porteur de la bactérie.
- Un allaitement plus long est également protecteur par rapport à l’infection Haemophilus influenzae type B (Hib). Dans cette étude faite en Suède entre 1987 et 1992 (avant l’introductionde la vaccination), un allaitement exclusif court (moins de 13 semaines) était corrélé à un risque d’infection presque quatre fois plus élevé. Si l’on ne considérait que les infections s’étant déclarées après 12 mois, le risque était même multiplié par près de huit. Chaque semaine d’allaitement supplémentaire diminuait le risque, et ce même après la fin de l’allaitement.
- Une autre étude faite par la même équipe quelques années plus tard, a montré qu’en cas d’infection à Hib, les enfants de 18 mois et plus se défendaient mieux (avaient des taux plus élevés de tous les anticorps testés, particulièrement pour les HgG2) s’ils avaient bénéficié d’un allaitement exclusif pendant au moins treize semaines.
Non, les enfants allaités longtemps ne deviennent pas anormaux! Lire la suite
A écouter certains, allaiter longtemps son enfant serait lui rendre un très mauvais service. Qu’en est-il en réalité?
L’allaitement long nuirait-il au développement du langage?
Cet argument assez inattendu est avancé par certains psychanalystes qui pensent, à la suite de Françoise Dolto, qu’il faut « castrer la langue du téton » pour que l’enfant accède à la parole. Pensent-ils que le sein, comme bien souvent la sucette, fait « bouchon » dans la bouche de l’enfant? Ou que ce qu’ils perçoivent – à tort – comme une fusion mère/enfant ne laisse pas de place au langage? Manifestement, ils n’ont jamais rencontrés de bambins allaités à la langue bien pendue, ni pris connaissance d’études montrant que c’est le non-allaitement qui est associé à davantage de troubles du langage… Voir cette étude, citée dans le chapitre sur les avantages pour la santé, où le risque de troubles du langage était deux fois et demie plus élevé chez les enfants qui n’avaient pas été allaités que chez ceux qui l’avaient été pendant sept mois et plus. Ou cette autre plus ancienne, qui avait également trouvé un lien significatif entre le non-allaitement et un risque plus grand de troubles du langage.
En fait, un meilleur développement cognitif
Là aussi, j’ai déjà abordé le sujet dans cet autre chapitre, et n’y reviendrai pas longuement, me contentant de citer deux nouvelles études parues fin 2005. La première, faite sur des enfants philippins nés en 1983-1984 et suivis de la naissance à 8 ans, montre qu’à cet âge, ceux qui avaient été allaités plus longtemps (entre douze et dix-huit mois) avaient de meilleurs résultats aux tests cognitifs que ceux qui avaient été allaités moins de six mois. C’était particulièrement net pour les enfants qui étaient de petit poids à la naissance: 9,8 points de QI en plus! La seconde, faite sur plus de 2000 jeunes Brésiliens âgés de 18 ans, montre que ceux qui ont été allaités au moins neuf mois réussissent nettement mieux dans leurs études que ceux qui l’ont été moins d’un mois, ce qui pourrait donner à l’âge adulte une différence de revenus de 10 à 15%.
Rapports parents-enfants
A plus long terme, les effets semblent également assez positifs. Les relations entre la durée de l’allaitement et les capacités d’adaptation psycho-sociale ont été analysées dans une cohorte d’adolescents âgés de 15 à 18 ans. Pour cette étude prospective, on a enrôlé 999 enfants néo-zélandais. Pendant la période comprise entre 0 et 1 an, des données ont été recueillies sur le déroulement de l’allaitement. Entre 15 et 18 ans, les enfants ont été recontactés et soumis à une batterie de tests destinés à évaluer leurs capacités d’adaptation psycho-sociale, la qualité des rapports parents-enfants, la prévalence de la délinquance juvénile, l’utilisation de substances illicites et l’existence de troubles psychiatriques. Les enfants qui avaient été allaités pendant longtemps étaient plus nombreux que les enfants nourris au lait industriel à avoir des liens de meilleure qualité avec leurs parents, et à penser que leur mère s’était mieux occupée d’eux et avait été moins surprotectrice.
Après ajustement des diverses variables confondantes, la durée de l’allaitement restait significativement corrélée à la perception par l’adolescent de meilleurs soins donnés par la mère, la perception de l’adolescent étant d’autant plus positive que l’allaitement avait été long. Les auteurs concluaient que l’allaitement long semblait favoriser des rapports parents-enfants de meilleure qualité.
Les mères qui allaitaient longtemps insistent elles aussi sur la force du lien mère-enfant ainsi tissé, et les bénéfices émotionnels qu’elles en retirent, ainsi que leur enfant. C’est ce qui resort par exemple d’une étude sur le vécu de 179 mères allaitantes « au long cours » qui, si elles parlent des difficultés à allaiter longtemps dans un environnement peu soutenant voire franchement critique, n’en disent pas moins que les aspects positifs pour la relation mère-enfant l’emportent de loin sur ces aspects négatifs.
Une meilleure adaptation
Une étude qui s’est intéressée au devenir d’enfants allaités plus d’un an a trouvé un lien entre la durée de l’allaitement et la façon dont les mères et les professeurs appréciaient leur adaptation sociale à 6 et 8 ans. Les auteurs prenaient leurs précautions en disant qu’ils n’avaient pu prendre en compte les différences d’interactions mère-enfant entre les mères qui allaitent et celles qui donnent le biberon, différences pouvant expliquer leurs résultats. Mais finalement, peu importe que ces résultats soient dus à l’allaitement en soi ou à un comportement maternel plus courant chez les mères susceptibles d’allaiter plus d’un an. Le fait demeure: les enfants allaités longtemps étaient considérés plus tard comme ayant une meilleure adaptation sociale. C’était encore plus vrai chez les mères que chez les professeurs, ce qui laissait à penser que les mères ayant allaité longtemps tendent à voir leurs enfants sous un jour plus positif que les autres.
Et c’est tout simplement bon!
Dans une étude sur des mères australiennes allaitant des enfants de 2 ans et plus, on a interrogé les enfants (mais oui, ils parlent!) qui ont presque tous dit qu’ils tétaient parce qu’ils aimaient le lait de leur mère, que ça les rendait heureux et leur faisait du bien. Certains ont dit que c’était « aussi bon que le chocolat », voir « meilleur que la crème glacée »!
Les recommandations de l’OMS et du ministère
Voilà déjà plusieurs années que l’Organisation mondiale de la santé recommande un allaitement exclusif de 6 mois, et la poursuite de l’allaitement jusqu’à 2 ans ou plus.Pendant longtemps, ces recommandations ont été dénigrées chez nous comme « justes bonnes pour les pays pauvres, mais en France, voyons…! » Cette exception française, dont on se serait bien passé semble en voie de disparition. C’est d’abord l’ANAES (Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé) qui, dans ses « recommandations professionnelles sur la mise en oeuvre et la poursuite de l’allaitement maternel dans les six premiers mois de la vie de l’enfant » écrit: « La poursuite de l’allaitement maternel exclusif pendant 6 mois permet un développement optimal des nourrissons et doit donc être encouragée ». Et: « La poursuite de l’allaitement après l’âge de 6 mois associée à une diversification alimentaire ne présente que des avantages pour les nourrissons. »
C’est, depuis peu, la brochure sur les bénéfices de l’allaitement pour la santé de l’enfant et de sa mère, écrite par le comité de nutrition de la Société française de pédiatrie et publiée par le ministère de la Santé, qui reprend pour la première fois l’intégralité des recommandations de l’OMS: « L’allaitement maternel permet une croissance normale au moins jusqu’à l’âge de 6 mois. Il n’y a donc pas de raison d’introduire d’autres aliments avant cet âge, comme l’OMS le recommande, en insistant sur le fait que l’allaitement maternel peut être poursuivi jusqu’à l’âge de 2 ans ou même davantage, selon les souhaits de la mère, à condition d’être complété par la diversification alimentaire à partir de l’âge de 6 mois. A tous ceux qui continuent de critiquer l’allaitement au-delà des premiers mois, on peut donc rétorquer qu’on suit les recommandations du ministère de la Santé!
Mon avis est le suivant:
Allaiter après les premiers mois devrait redevenir la norme
pour la santé des mères et des bébés.
La société et le monde du travail devraient encourager la poursuite de l’allaitement complet jusqu’à 6 mois,
puis partiel au-delà chez les mères qui reprennent une activité professionnelle
en proposant des postes sur des demi-journées!
Les mères seraient plus sereines et les enfants moins souvent malades!
Ça serait du gagnant-gagnant…
Mais c’est aussi aux femmes de revendiquer de nouveaux droits et de se battre pour eux!
C’est ainsi que la société a une chance d’évoluer dans le bon sens…
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Un âge naturel pour le sevrage? Lire la suite
En 1995, est paru aux Etats-Unis un ouvrage passionnant sur les aspects « biculturels » de l’allaitement. Une des contributions, écrite par Katherine A. Dettwyler, professeur d’anthropologie à l’université du Texas, s’intéresse à une question bien précise: à quel âge les petits humains devraient-ils être sevrés (le sevrage étant entendu ici comme la cessation totale des tétées) si l’on se basait uniquement sur des considérations physiologiques?
Chez les primates (famille dont font partie les êtres humains) et comparativement aux autres mammifères, la durée de gestation est plus longue, le poids à la naissance (par rapport au poids adulte) plus élevé, le cerveau (par rapport au poids corporel total) plus lourd, la durée de dépendance à l’adulte plus longue, la maturité sexuelle plus tardive, la durée de vie plus longue et… l’âge du sevrage complet plus tardif.
Chez les mammifères, celui-ci semble pouvoir être corrélé à plusieurs variables: âge de quadruplement du poids de naissance augmenté de quelques mois (entre 3 et 4 ans pour les humains; âge où l’on atteint le tiers de son poids adulte (entre 6 et 7 ans pour les humains); la durée de la gestation (chez les primates les plus proches de l’Homme, à savoir les chimpanzés et les gorilles, la durée de l’allaitement est égale à plus de six fois la durée de la gestation); l’âge d’apparition des premières molaires définitives (5,5 à 6 ans pour les humains, qui est aussi l’âge où le système immunitaire arrive à maturation).
De toutes ces données, on peut conclure que l’âge « naturel » du sevrage chez les humains se situe entre 2,5 et 6 ans. Lire la suite
Les historiens et les anthropologues confirment bien évidemment que chez de nombreux peuples, l’allaitement long était la règle, et l’est encore dans maints endroits du globe.
Les archéologues s’intéressent eux aussi au sujet depuis quelques temps, et font des découvertes intéressantes. C’est ainsi que la paléoanthropologue Estelle Herrscher, étudiant des squelettes d’enfants enterrés dans la nécropole Saint-Laurent de Grenoble, a montré, grâce à l’analyse de certains isotopes qui signent la consommation de lait maternel, qu’à la fin du Moyen Age, le sevrage débutait vers 2,6 à 3,3 ans, alors qu’au 18e siècle, l’allaitement durait moins longtemps, avec des conséquences sur la santé: un état sanitaire plus déficient à l’époque moderne qu’au Moyen Age, et une croissance meilleure des 5-9 ans au Moyen Age.
Au Guatemala, d’autres archéologues, s’appuyant eux aussi sur l’étude des isotopes dans l’émail dentaire de squelettes dont l’âge allait de 500 avant J.-C. à 1500 de notre ère, avaient conclu que les enfants de ces époques commençaient à consommer des aliments solides avant l’âge de 2 ans, et continuaient à être allaités pendant la majeure partie de la période de minéralisation des prémolaires (2 à 6 ans).
Conclusion
Même si toues ces fausses idées sur l’allaitement continuent à circuler autour de nous, il faut quand même dire que depuis quelques années, les (bonnes) informations se font plus nombreuses.
C’est le cas dans les médias, où l’on trouve beaucoup plus qu’avant des articles bien informés dans les magazines de puériculture, dans la presse généraliste, sur les radios et les chaînes de télévision. Et nouveauté: l’allaitement n’est plus cantonné aux articles sur l’allaitement, on en parle dans les autres articles. Alors qu’auparavant, le bébé était supposé être au biberon, on prend maintenant en compte le fait qu’il peut être allaité
C’est le cas chez les professionnels de santé qui, même si leur formation initiale est toujours ridiculement insuffisante, sont de plus en plus nombreux à adhérer aux normes de l’OMS.
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